Jean T.

https://lecturesdereves.wordpress.com/

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Conseillé par (Libraire)
5 juin 2016

Sur un coup de cœur, Merlin et Prune ont acheté une maison en campagne dans laquelle les travaux à faire excèdent sans doute leurs capacités financières. Merlin est l'auteur d'une série de bandes dessinées qui rencontre un franc succès, Wild Oregon est "une utopie maussade ou une dystopie joyeuse" selon comment on voit la vie; Le héros, Jim Oregon ressemble fort à Laurent, le meilleur ami de Merlin, comme d'autres personnages ressemblent à des personnes de l'entourage du dessinateur. Aquarelliste, Merlin peut passer des journées entières a peindre les planches de la Grande encyclopédie des Oiseaux d'Europe.
Mais Laurent décède en léguant à Merlin sa collection de deux cents bouteilles de whisky et en lui demandant de faire rencontrer un grand amour à son personnage de BD. Il faudra qu'il lui soit fidèle -précisons ici que Laurent n'a pas été un exemple de fidélité en amour- et qu'ensuite, Merlin achève la vie de Jim Oregon. Merlin doit donc envisager deux impossibles : trouver un grand amour de Jim Oregon qui soit digne de Laurent, achever sa série...
Avec ce roman, Marie-Sabine Roger nous fait toucher du doigt la réalité de l'écrivain dont l'imagination travaille à faire vivre des personnages qui mènent leur vie indépendamment de la volonté de leur auteur. Elle montre que l'univers romanesque des auteurs s'inspire de la réalité qu'ils côtoient ou qu'ils vivent.
Dans le roman, on passe sans cesse de la vie réelle de Merlin et de toute une tribu de personnages truculents à celle des personnages de BD qu'il dessine.
De Marie-Sabine Roger, j'en étais resté à ses romans pour adolescents Attention fragiles et Le Quatrième soupirail qui abordaient des sujets graves, inquiétants et dramatiques. Des romans qui témoignaient d'une capacité d'attention au tragique de la vie humaine. Ce roman est plutôt drôle et divertissant, plein de poésie et d'humour, même dans les commentaires fort pertinents sur la création artistique. J'ai aimé la description juste et sensible d'une belle amitié, les personnages hauts en couleurs, l'inventivité de l'auteure, cet incessant va-et-vient entre deux mondes..
C'est un roman très réussi !

Conseillé par (Libraire)
24 mai 2016

Passionnant et inquiétant

Nous avons abdiqué de nos libertés et de notre intimité pour notre sécurité.
C'est le constat des auteurs de cet essai qui démontre que la puissance des Gafa et supérieure à celle des États. Les géants du numérique sont devenus les rois du monde. Gourmands en collectes de données -ils possèdent 80% des données disponibles- ils connaissent tout de nos habitudes de vie, de notre consommation, des destinations de nos voyages de travail et de loisirs, de nos orientations politiques et sexuelles. Facebook, grâce à Atlas, le logiciel de tracking acheté à Microsoft, piste en continu et chaque jour 1,4 milliard d'humains sur Internet.Dans cette énorme masse de données, il y aura toujours un algorithme capable de repérer une information intéressante, échangeable contre de l'argent ou utilisable à des fins politiques ou sociales.
Les entreprises du Big Data ont établi une connivence avec les service renseignement. A chaque attentat, les États leur demandent plus de moyens de contrôle. Ils leur ont délégué "l'exploitation, le stockage et le raffinement des gisements numériques", et ont ainsi contribué à leur richesse financière. Pourtant, il est désormais patent que le contrôle numérique agit à posteriori alors que des agents humains judicieusement employés seraient plus efficaces pour lutter contre le terrorisme.
L'idéologie des sociétés du numérique est le libertarisme, un ultra-libéralisme extrême qui fait de l'État-Providence l'ennemi suprême, qui prône l'individualisme, qui estime qu'on doit pouvoir tout acheter et tout vendre sans limité réglementaire. Les libertariens vivent dans la démesure, veulent repousser les limites de la mort et fabriquer un homme nouveau qui serait hybrider avec la machine numérique, des "transhumains".
A terme, l'élite ultra-riche concentrera tous les pouvoirs grâce au numérique, décidera de ce qui lui semble bon pour l'humanité, profitera des progrès de l'intelligence artificielle pour se maintenir en bonne santé, etc.
Et il y aura le reste de la population, environ 80% qui, après une période de chômage technologique, sera dans un chômage total. Pour ces sans-emploi, les entreprises du numérique envisagent un revenu universel qui leur permettra de vivre en faisant ce que bon leur semble.
Les sollicitations numériques de plus en plus incessantes vont habituer nos cerveaux à papillonner, vont distraire notre attention jusqu'à ce que nous ne soyons plus capables de penser, de réfléchir. Or ce qui nous constitue comme humains, c'est cette capacité de penser, d'anticiper, c'est la conscience, les idées, la créativité, les rêves, la connaissance que l'on construit, certes, en l'extrayant de l'information.
Tout ce que les géants du numérique n'aiment pas, qui nous rend imprévisibles. La dictature du numérique s'applique à nous rendre prévisibles, semblables, indistincts. Elle entend être notre Big Mother, celle qui prend soin de nous...
Un essai passionnant, mais inquiétant...

nouvelles

Albin Michel

22,00
Conseillé par (Libraire)
18 mai 2016

Sept nouvelles dans lesquelles Stuart Nadler raconte un fragment de la vie de quelques personnes du judaïsme contemporain d'Amérique. Chaque nouvelle explore une situation où un personnage masculin qui a commis une faute, une tromperie, un abandon, n'arrive pas à s'en défaire et traîne toute sa vie le regret de son erreur. Il y a cette jeune fille qui provoque le meilleur ami de son père pour le faire chanter. Il y a ce fils étudiant que son père retrouve et qui lui reproche sa passivité en apprenant que ses parents se séparent. Il y a cette femme qui cède à son amie en poussant son compagnon, un artiste qui peint des nus, dans les bras d'une femme qui lui ressemble, pour voir s'il résistera à la tentation. Il y a ces deux frères qui se rejoignent après la mort de leur parents pour vider la maison, et qui se cherchent une relation pacifiée. Il y a ce petit-fils qui vient au secours de son grand-père que l'on va expulser et qui réalise que son amour de jeunesse continue de l'aimer.
Dans ses descriptions, l'auteur place des interrogations métaphysiques, des réflexions sur la pratique religieuse. Il sait mettre en évidence ce qui dérange, ce qui fait mal à voir.
Ce sont des vies comme il y en a tant, marquées par des conflits, des tromperies, des infidélités, des suspicions, qui sont décrites avec une rare finesse psychologique et d'écriture. Tous ces hommes, surtout eux, sont artistes, hommes d'affaire, professeurs, rabbin, et n'ont pas de problèmes matériels. Pourtant, ils n'ont pas trouvé le bonheur dans leurs vies, et n'ont pas la force de tout remettre en cause pour le trouver. Alors, ils traînent le poids de leurs échecs et de leurs erreurs.
A la lecture de ces vies peu brillantes, on réfléchit à ce qui fait et défait une vie de de famille, on se dit que la vie heureuse demande de la détermination et de la fidélité à l'idée que l'on se fait de son chemin.
Un recueil brillant, profond et chargé d'émotion.

Actes Sud

13,80
Conseillé par (Libraire)
18 mai 2016

"Treize hommes" est une enquête approfondie réalisée par une journaliste indienne, Sonia Faleiro, sur le viol en réunion d'une jeune femme de 20 ans dans le village de Subalpur, à l'ouest du Bengale. Indépendante, la jeune femme entretenait une liaison avec un "outsider", un homme n'appartenant pas à la communauté villageoise, et qui, en plus, est musulman. Un conseil tribal décide de la punir. Elle sera violée au cours d'une nuit, par treize hommes du village. Un procès s'en suivra, dont l'issue reste incertaine.
Cette enquête met en évidence la complexité des relations sociales dans les campagnes indiennes. Ces populations n'ont pas accès à la modernité, vivent dans une pauvreté extrême et gardent vivantes des traditions qui peuvent être brutales et violentes. Elle montre aussi les manipulations des politiques et entreprises qui cherchent à confisquer les terres des paysans Santal pour en faire des carrières.
Sonia Faleiro dénonce les violences sexuelles faites aux femmes et la misère dans laquelle vivent les tribus. Une misère qui empêche d'être optimiste quant l'évolution des mœurs de ces tribus.

Conseillé par (Libraire)
4 mai 2016

Paul Jorion s'étonne que les humains se comportent comme des lemmings, ces petits rongeurs qui s'installent dans une vallée, la consomment jusqu'à l'épuisement avant d'aller s'installer dans la suivante. Quand les humains auront dévasté la planète, à la différence des lemmings, ils ne pourront aller s'installer sur une autre...
Alors l'anthropologue essaie de nous réveiller. Avec sa solide expérience de trader, il commence par une critique sévère et très argumentée de notre système économique qui a viré au capitalisme financier ultra-libéral, lequel ne vise que la croissance, la consommation incontrôlée, l'augmentation des richesses des plus riches au détriment du bien commun. Il démontre que le monde économique a pris le pouvoir sur les politiques qu'il force au court‑termisme, qu'il a perverti notre État-providence en le faisant reposer sur la seule croissance. Il critique les religions révélées qui promettent un paradis après la mort, qui détournent l'homme de l'intérêt pour une vie bonne sur cette terre en lui enjoignant de "ne pas aimer le monde". Comme l'homme ne cesse de chercher le progrès technique, il envisage la "singularité", ce moment où l'intelligence des machines dépassera celle des hommes. Les robots feront le travail des humains, prendront soin de la planète à la place des humains et pourraient même détruire cette humanité qui met la planète en danger.
Paul Jorion convoque les grands philosophes pour renforcer son argumentation ainsi que les économistes classiques pour montrer la vacuité prétentieuse de la "science économique". Si son propos est parfois décalé et digressif, il n'en reste pas moins alarmant. Il tente de faire réagir le lecteur, de constituer une masse critique qui aurait une réaction collective et mondiale. Mais la catastrophe est proche, avons-nous encore envie ? Avons-nous l'énergie nécessaire pour empêcher la catastrophe ? Ou avons-nous commencé à faire le deuil de l'espèce humaine ?