sandrine57

Lectrice compulsive d'une quarantaine d'années, mère au foyer.

Conseillé par
15 février 2014

En ce temps-là, Suzanne s'appelait Mila; c'était un nom de code, son nom de résistante. Elle codait les messages et cachait des résistants. Elle était jeune, ne connaissait rien de la vie, de l'amour, mais vivait dans l'urgence comme ceux qui mettent leur vie en danger. Tout bascule le jour où elle est dénoncée et déportée. Vers où ? Nul ne le sait. L’Allemagne sans doute, un camp de travail probablement... Mila ne se doute pas qu'elle part pour l'enfer. À Ravensbrück, des milliers de femmes tentent de survivre à la faim, au froid, à la maladie, aux travaux forcés, aux brimades, aux sévices. Mais Mila s'inquiète surtout pour le secret qu'elle cache au fond de ses entrailles, fruit d'une nuit d'abandon dans les bras d'un résistant de passage. Cet enfant qu'elle va mettre au monde est-il condamné à mort ? Non, dans le camp, Mila n'est pas un cas isolé et il existe une "nurserie", la kinderzimmer, chambre des enfants.

C'est dans cette pièce sombre et gelée que Mila voit son enfant dépérir, vieillir prématurément, malgré tous ses efforts, malgré le lait offert par les autres prisonnières, malgré le temps qui joue en sa faveur, les alliés ont débarqué, la guerre touche à sa fin...
Le camp qui avilit, qui déshumanise... L'horizon qui se réduit à un quignon de pain sec... Le règne du "chacun pour soi"... Les jours rythmés par l'appel, les ordres aboyés... Le corps qui lâche, qui se vide, qui n'est plus que plaies... Les fours, les chambres à gaz, la mort partout... Et puis, comme une lueur d'espoir, la solidarité, l'amitié qui éclot, plus forte que la peur, la haine des bourreaux. Un bout de charbon que l'on vole pour réchauffer un bébé, du lait que l'on offre pour le nourrir, l'amour que l'on donne pour remplacer une mère disparue.
"Kinderzimmer "est une histoire souvent insoutenable qui évoque les atrocités des camps de concentration, le désarroi des détenus après la libération, leur difficile retour, portée par l'écriture incisive, sans concessions de Valentine Goby. Un récit douloureux, éprouvant mais indispensable.

Alain Berenboom

Genèse édition

Conseillé par
10 février 2014

Ce n'est que longtemps après la mort de ses parents qu'Alain Berenboom trouve le courage de fouiller leurs caisses remisées à la cave, incursion indiscrète dans un passé auquel il n'a jamais eu accès. Documents, lettres et photos précieusement conservés par sa mère lui ouvre l'accès à une histoire familiale mouvementée que la vie tranquille de ses parents de ne laissait pas présager. Il découvre son père sous un jour nouveau, un père courageux, volontaire, aventurier, caché derrière le pharmacien bruxellois bien établi. Au fil de ses découvertes se dessine l'histoire d'un homme : la naissance dans un shetl proche de Varsovie, les premiers pas en Belgique terre d'accueil, la rencontre avec Rebecca, sa "princesse lituanienne", la soif d'intégration, l'amour pour sa nouvelle patrie, les années de clandestinité pendant la guerre, le deuil de ceux qui n'ont pas survécu, et surtout l'indéfectible optimisme qui lui a permis de surmonter tous les drames.

Ne parlant ni le polonais, ne le yiddish, Alain attend avec de plus en plus d'impatience les traductions des lettres rassurantes et confiantes qui racontent la douceur de vivre au shetl, les espoirs, les projets de toute une communauté qui, par-delà les menaces nazies et soviétiques, continue d'étudier la Torah, d'organiser des mariages, de s'inquiéter d'un célibat prolongé, sourde et aveugle au fracas du monde. Des grand-parents, des tantes dont il ne savait rien, lui proviennent d'un passé à jamais révolu, balayé par les horreurs de la guerre. Chaïm Berenboom est devenu belge et a choisi de garder un silence hermétique sur cette ancienne vie, sur l'Occupation, sur les drames et les souffrances, préférant mettre en avant les bons côtés de la vie. Pourtant, sous ses airs débonnaires gonflait une colère sourde, sous le pharmacien respectable, athée et optimiste, se cachait l'assistant d'un magicien, un résistant, un lecteur assidu de la Bible, un admirateur des kibboutz israélien, un homme complexe et contradictoire.

Élevé dans le respect du roi, nourri à la carbonade, bilingue franco-flamand, y a-t-il outre-Quiévrain citoyen plus belge qu'Alain Berenboom ? C'est ainsi que ses parents l'ont éduqué, coupé de ses racines, premier d'une ligne de Berenboom, belge avant tout. Pourtant, son enquête dans les archives familiales va lui faire entrevoir une histoire familiale marquée par les affres de la guerre. Mais en bon belge, l'auteur fait fi du ton tragique de rigueur pour adopter l'humour et la dérision, cachant ses larmes derrière les folles aventures d'un père habité par la soif de vivre et la confiance en des lendemains meilleurs. Rire pour ne pas pleurer mais surtout redonner une voix à ceux qui ont été broyés par le nazisme. Du shetl au ghetto, les lettres dévoilent un quotidien de plus en plus difficiles mais gardent la flamme de l'espoir, celle qui s'éteint sur le chemin des camps. Chaïm aura perdu une grande partie de sa famille mais il ne dira jamais rien de sa peine, épargnant son fils, mais le privant aussi de son histoire. Alain remonte la piste, renoue avec l'héritage familial, tentant de garder une distance pudique mais qui ne masque pas tout à fait le flot de ses émotions. Hommage aux siens et surtout au père, ce Monsieur optimiste est un hymne à la vie, une suite de chroniques drôles et émouvantes qui nous rend chers et intimes des êtres dont les voix se sont éteintes trop tôt. A lire pour la leçon d'Histoire et pour l'exploit d'avoir su alléger l'horreur des faits par des touches d'humour bienvenues.

Deborah Levy-Bertherat

Éditions Rivages

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8 février 2014

Etudiante en archéologie, Hélène s'installe à Paris dans la chambre de bonne de son grand-oncle Daniel Roche. Elle n'est pas très proche de cet éternel enfant qui faisait la joie des plus jeunes lors des réunions de famille en racontant avec force gestes et mimiques ses voyages aux quatre coins de la planète. Ses talents de conteur, il les a aussi mis au service de Peter Ashley-Mill, le héros de La Marque noire, une série à succès de romans d'aventures pour adolescents dont il est l'auteur, sous le pseudonyme de H.R. Sanders. Mais Hélène n'a jamais réussi a dépassé le troisième chapitre du premier tome de ces livres qui ont fait frémir toute une génération. Daniel, à l'instar de son héros, voyage beaucoup, Hélène n'a donc que très peu de contacts avec lui et elle s'en félicite.

Pourtant, à force de côtoyer ses fans, dont son petit-ami Guillaume est un bel exemple, ses voisins et amis, elle finit par s'intéresser et aux livres et à l'homme. Elle découvre ainsi que derrière Daniel Roche se cache Daniel Ascher, un petit garçon juif qui a fui l'Occupation et les rafles pour trouver refuge en Auvergne chez ses arrière-grands-parents. Intriguée, Hélène part sur les traces de son grand-oncle, à la recherche de ce qu'il fut et aussi de ce qu'elle est.

En même pas 200 pages, dans un roman qui ne paie pas de mine, un premier roman qui plus est, Déborah Levy-Bertherat réussit avec beaucoup de douceur et de pudeur à évoquer des sujets graves sans tomber dans les clichés ou le pathos. On y suit une jeune fille sérieuse, à peine sortie de l'adolescence, et qui en garde encore les préjugés et les jugements à l'emporte-pièce, qui au fil d'une enquête au cœur des non-dits familiaux, va mûrir et se révéler à elle-même. Face à Hélène la pondérée, le fantasque Daniel roche, alias H.R. Sanders, semble frivole et pourtant...De la rue d'Odessa à Paris jusqu'à New-York, en passant par l'Auvergne, Hélène va découvrir l'histoire d'une famille juive décimée par la guerre, d'un enfant tiraillé entre le souvenir des siens et son nouvel attachement à ceux qui l'ont recueilli, sauvé, adopté et qui n'a eu d'autre choix que de s'évader et de se raconter à travers ses romans. Car c'est dans La Marque noire qu'Hélène va trouver les cailloux semés par Daniel pour aller vers la vérité. Chez les Roche le parcours de Daniel n'est pas un secret, plutôt un non-dit, un épisode recouvert du voile de l'oubli; les Justes sont discrets. Mais Daniel, bien sûr, n'a pas oublié le petit Ascher, ses parents, sa sœur, la boutique de photographe qu'ils habitaient et la nostalgie de ce bonheur saccagé par les nazis n'a jamais cessé de le hanter. C'est cette histoire, intimement mêlée à la sienne, qui va faire grandir Hélène, la réconcilier avec sa part d'enfance, lui donner les ailes pour s'envoler vers l'avenir.
Un roman tendre et sensible qui révèle une auteure brillante et prometteuse. A découvrir.

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31 janvier 2014

En voyage au Groenland avec un groupe d'agriculteurs français, Landry est victime d'un accident qu'il a lui-même provoqué et qui le contraint à prolonger son séjour sur place. Rien ne le rappelle en France. Sa femme est partie avec ses enfants et ses voisins sauront s'occuper de ses terres durant son absence. Il décide donc de passer sa convalescence avec Germain, un belge expatrié en terre inuits. Lors d'une partie de chasse, Landry trouve un oisillon sanderling dans un nid posé sur la toundra gelée. Pour l'agriculteur las de vivre, cet oiseau appelé à devenir un extraordinaire migrateur, représente l'espoir et la persévérance. Landry y voit le signe d'un renouveau et c'est, dopé par une envie d'en découdre et de tout changer, qu'il rentre à Belligny, sur les terres qui l'ont vu naître et auxquelles il a consacré sa vie.

Il ne sait pas encore que sa révolution intérieure va trouver un écho très concret dans sa vie. Les volcans islandais ont décidé de rappeler les hommes à l'ordre en déversant lave, fumée et cendres sur l'Europe ébahie et désemparée. L'Islande est rayée de la carte, le Danemark et l'Ecosse sont au plus mal, l'Europe toute entière est menacée. A Belligny, on s'organise pour faire face au nuage de cendre et son lot de calamités : été caniculaire, hiver polaire, inondations, glissements de terrain, gaz toxiques. Face à cette nature soudain hostile, il faut inventer une nouvelle façon de vivre; certains s'adaptent, d'autres rechignent, les plus vils tentent d'en tirer profit. Landry est un des hommes-clés de la communauté et, pour lui, c'est un nouveau départ, difficile certes, mais peut-être l'occasion inespérée pour tout recommencer à zéro sur des bases plus saines.
Évacuation des populations en Islande, trafic aérien paralysé en Europe, quand il entre en éruption en mars 2010, l'Eyjafjöll a rappelé aux hommes que la nature parfois reprend ses droits et que rien ne peut la maîtriser. Quelques années plus tard, cet épisode n'est plus qu'une anecdote qui 'a eu pour conséquence que de clouer au sol quelques vacanciers malchanceux qui de toute façon l'auraient été par une grève des aiguilleurs du ciel. Mais si ce coup de semonce venu du Nord n'était qu'un avertissement avant une catastrophe de plus grande ampleur ? Et si les volcans islandais sortaient de leur sommeil pour déverser sur l'Europe leur lave, leur fumée, leur cendre ? Quelles seraient les conséquences humaines, économiques, écologiques ? C'est à cette réflexion que nous invite Anne Delaflotte Mehdevi dans son roman mi-roman d'anticipation, mi-conte moderne qui raconte la vie d'un village français à l'heure où le continent européen est mis sous cloche par un nuage de cendres volcaniques. Privés de soleil, confrontés à des problèmes d'un autre âge, les habitants de Belligny, aux personnalités hautes en couleurs, vont créer une communauté parée à survivre en mêlant les méthodes du passé et les nouvelles technologies. Mais comme dans toute communauté humaine, les natures les meilleures côtoient les sentiments les plus vils. Le partage, l'échange, la solidarité seront confrontés à la jalousie, la trahison, la violence. Mais Landry, Merlin, Ladona, Alice, Lila et tous les autres sauront trouver un équilibre dans un univers qui vacille au bord du gouffre.
Au-delà d'une vision catastrophiste de l'avenir de l'humanité, Sanderling est une belle réflexion sur le monde rural, le travail de la terre, l'écologie et un chant d'espoir pour l'Homme, ses défauts les plus terribles palliés par sa fabuleuse capacité à s'adapter. Anne Delaflotte Mehdevi est une auteure d'ambiance qui sait à merveille raconter les aléas d'un microcosme dont elle nous rend les protagonistes infiniment proches. Malgré les circonstances dramatiques et la noirceur du contexte, on s'attache à ces survivants-combattants et on les quitte avec un immense regret. Ils sont en guerre contre un ennemi qui s'est rebellé après des années de maltraitance mais ils savent que l'ennemi d'aujourd'hui était l'ami d'autrefois et sera obligatoirement celui de demain. Optimiste et plein de bons sentiments, Sanderling, sous ses airs un peu naïfs, est une invitation à la réflexion sur l'avenir, le rapport à la nature, le monde paysan, le voyage, la vie. A lire.

15,00
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20 janvier 2014

Versailles, 1686. La France va mal. La révocation de l'Edit de Nantes entraîne des révoltes en région, les puissances étrangères complotent et dans les îles, les esclaves se rebellent. Si Louvois, ministre de la guerre de Louis XIV, veille augrain, le roi a des préoccupations plus terre à terre. Ses soucis se concentrent sur une infime partie de son anatomie : son anus. Diminué par une fistule anale, le Roi-Soleil souffre le martyr et a du mal à s'intéresser aux affaires de l'Etat. Les courtisans pensent déjà à sa succession et sont enclins à trahir. Tandis que son médecin attitré pratique des saignées à tour de bras, que l'ambassadeur de Siam attend d'être reçu, que les cours européennes dépêchent des espions pour être tenues au courant de la situation, que Madame de Maintenon et le Père La chaise prient avec ferveur, Félix de Tassy hante les couloirs de la Bastille et de l'Hôpital général et s'entraîne sur les condamnés et les indigents pour perfectionner sa technique opératoire et ses instruments chirurgicaux.

Il a en effet été décidé que le roi serait opéré, il en va de l'avenir du pays. Et Félix sait qu'il n'a pas droit à l'erreur.

Point de suspense dans ce roman situé en 1686 puisque l'on sait que le Roi-Soleil est mort en 1715, à l'âge canonique de 76 ans. C'est donc avec bienveillance que l'on regarde les hésitations et questionnements du chirurgien Félix de Tassy au sujet de l'opération royale, parfaitement au courant de la réussite de son entreprise. L'intérêt n'est donc pas là mais plutôt dans la formidable leçon d'histoire que nous propose Christian Carisey. Un instantané de la vie de Louis XIV au moment où son règne connait une crise majeure due à ses problèmes de santé. Titubant de son lit à sa chaise percée, le monarque absolu délaisse les affaires de l'Etat et les courtisans en profitent pour créer de nouvelles alliances. Ce petit monde s'inquiète, complote, frétille entre jalousie et flagornerie. Pendant ce temps, le pays s'agite et l'auteur en profite pour nous raconter les querelles qui opposent jansénistes et jésuites, les missions d'évangélisation à l'étranger de ces derniers, les conséquences de la révocation de l'Edit de Nantes. La fistule anale du roi est aussi l'occasion d'évoquer la naissance de la chirurgie moderne qui jusque là était exercée par les barbiers et se débattait contre la méfiance des médecins et de l'Eglise. Le monde des sciences est en ébullition, on remet en question les dogmes, on s'interroge sur l'asepsie, on ne veut plus laisser la vie entre les seules mains de Dieu.
Peuplée, outre le roi, des grandes figures de l'époque, la Palatine, la Maintenon, Louvois, le Père La Chaise, Félix de Tassy, etc. et de quelques personnages inventés pour pimenter le récit, cette Maladie du roi est une lecture plaisante, vivante et instructive, à lire pour apprendre sans en avoir l'air.