Eric R.

Jean-Philippe BLONDEL

Finitude

17,00
Conseillé par (Libraire)
12 mai 2023

Un bijou de roman choral

C’est agréable un roman choral. C’est un peu comme un puzzle qu’il faut reconstruire. On prend des bouts de vie a priori sans lien les uns avec les autres. Des lieux éloignés. Des périodes distinctes. Et un romancier talentueux se saisit de ces morceaux, les colle, les rattache et vous donne à voir finalement une image, celle de vies recomposées, d’instants anodins devenus décisifs.

Petite, l’existence des personnages de ce roman l’est en apparence. Agent immobilier, adolescente de quinze ans qui se dit enfin « mûre », allemande de l’Est un peu paumée à l’Ouest, enfant qui a pour rêve majeur d’intégrer le club Mickey, boulanger raciste et séducteur, toutes et tous n’ont rien de héros. Et pourtant. Pourtant, pour eux comme pour d’autres, il faut additionner les jours, les joies, les peines, certaines banales, d’autres plus exceptionnelles, additionner pour mener tant bien que mal leur existence. Ce sont des plages estivales qui vont être le point de départ de ces instants essentiels, quand la vie est faite de vacances, de rêveries, d’oisiveté.
Au final, rien ne se passe comme prévu. Le hasard, la personnalité de chacun, les rencontres, bonnes et mauvaises, rendent toute projection improbable. Comme dans un bon polar Jean-Philippe Blondel exploite cette imprévisibilité pour nous emmener dans des contrées inconnues. On est admiratif devant la complexité et la construction d’un livre dont les chapitres s’emboîtent à la manière de poupées russes.

16,95
Conseillé par (Libraire)
30 avril 2023

Truands et nostalgie

Le Grizzli, c’est lui, l’homme costaud à la large mâchoire virile et aux épaules de déménageur qui trône sur la couverture. Un dessin qui dit tout de ce tendre balèze, qui doit son nom, lui l’ancien boxeur, à sa pilosité abondante. Un tendre marqué années soixante par sa silhouette et sa cigarette au bec, qui rappelle les affiches de films de Becker, Audiard ou Melville. C’est de cet univers des malfrats que s’est inspiré Matz pour cet album. 64 pages qui nous ramènent plus d’un demi siècle en arrière, Il y a donc forcément de la nostalgie dans cette description finement ciselée par le dessin de Simon. On croit entendre Gabin discuter avec Blier dans des dialogues d’Audiard.
Un régal de lecture !

Le Grizzli, c’est lui, l’homme costaud à la large mâchoire virile et aux épaules de déménageur qui trône sur la couverture. Un dessin qui dit tout de ce tendre balèze, qui doit son nom, lui l’ancien boxeur, à la pilosité abondante de son corps. Un tendre marqué années soixante par sa silhouette et sa cigarette au bec, qui rappelle les affiches de films de Becker, Audiard ou Melville. C’est de cet univers des malfrats, des petits et grands truands que s’est inspiré Matz pour cet album que n’auraient pas renié Simonin, René Fallet ou Alphonse Boudard.
Le début est classique: Bébert la Gambille sort de la Santé, la prison bien entendu pas l’hôpital, après dix ans de purgatoire. Il soupçonne un ancien complice de l’avoir dénoncé pour lui piquer le grisbi. Menacé, Jo, cet ancien ami, pris de panique contacte deux de ses potes : Toine, passionné de canassons et le Grizzli, amateur de belles carrosseries, tous deux rangés des affaires. Les retrouvailles vont être chaudes et épiques, les coups de poings vont valser, les menaces se multiplier, les trahisons se dissimuler. Au milieu de ce boxif, un drôle de flic, surnommé la Ventouse, va essayer de tirer son épingle du jeu. Et c’est parti pour 64 pages qui nous ramènent (pour les plus vieux) ou nous amènent (pour les plus jeunes), plus d’un demi siècle en arrière, du temps comme l’écrit Matz, où « l’homme portait nécessairement le costume-cravate » où l’on « achetait français » et où roulaient des « bagnoles qui avaient de la gueule ».

il y a donc forcément de la nostalgie dans cette description finement ciselée par le dessin de Simon, dessin auquel il ne manque pas un enjoliveur, une calandre, un réverbère ou une lampe de bureau. On croit voir et entendre Gabin discuter avec Blier dans des dialogues d’Audiard car bien entendu ces contemporains de Frédéric Dard n’ont pas la langue dans leur poche et avant d’être souvent enchristés, ils ont décarré en craignant que la maison bourreman ne leur mettre le grappin dessus.

C’est cet univers à la Albert Simonin, dont Matz écrit dans sa postface que Léo Malet l’appelait « le Chateaubriand de l’Argot », que rendent hommage les deux dessinateurs. Par le texte, les dialogues, le dessin délicieusement rétro on déambule dans Paris, celui des bouquinistes le long des quais de Seine, celui des champs de course, des petits comptoirs des petits troquets, des téléphones en Bakélite noir.

Au fait Matz, le pseudonyme que s’est donné le dessinateur a une signification en argot. Comme dirait l’autre elle n’est pas piquée des vers. On ne va pas vous faire tartir. On préfère vous la laisser découvrir page 63 dans un lexique bien utile à l’usage des curieux.

Jeanne

Futuropolis

24,90
Conseillé par (Libraire)
25 avril 2023

Une très belle adaptation

Jean Teulé était un sacré conteur et un formidable ramasseur de poussière. Son écriture était gouailleuse et parlante. Quant à la poussière il savait la retirer pour extirper de l’Histoire officielle des faits divers ou des moments passés à la trappe de la postérité. En 2020 dans son avant dernier ouvrage « Crénom Baudelaire » il recherchait la personnalité de l’auteur des Fleurs du Mal. L'ambivalence du poète, génie poétique et mauvais génie humain, le roman de Teulé la décrivait parfaitement et faisait la force de son texte.
On était donc curieux de connaître son adaptation en images. Tino et Dominique Gelli se sont attelés à la tâche. Dominique Gelli fait ici exploser les couleurs somptueuses, le rouge sang des manteaux, des robes, des drapeaux assurant le fil conducteur de cases inoubliables. Mais la poésie dans tout cela ? Elle est omniprésente, chaque évènement de la vie du poète suscitant son inspiration, est illustrée par des dessins pleine-page de Tino Gelli qui tranchent avec la tonalité du récit. Oniriques, naïfs, symbolistes, ésotériques, ils accompagnent à la perfection les poèmes de Baudelaire !

Eric

Chronique complète :

Jean Teulé était un sacré conteur et un formidable ramasseur de poussière. Son écriture était gouailleuse et parlante. Quant à la poussière il savait la retirer pour extirper de l’Histoire officielle des faits divers ou des moments passés à la trappe de la postérité. Il dépoussiérait aussi des statues auxquelles il vouait pourtant une profonde admiration. En 2009 il était ainsi parti à la quête d’un autre Rimbaud. En 2020 dans son avant dernier ouvrage « Crénom Baudelaire » il recherchait la personnalité de l’auteur des Fleurs du Mal. Ce n’est pas la poussière qu’il ôtait dans cette biographie romancée mais des couches innombrables de vernis posées depuis des décennies par des hagiographes pas toujours sincères. Et pourtant « tout est vrai » avait l’habitude de déclarer l’écrivain décédé en octobre de l’année dernière. On le croit donc sur parole quand il décrit un enfant amoureux de sa mère dans des relations ambigües. On le suit toujours quand il montre un adolescent irrespectueux, vantard en se voulant supérieur à Hugo, misogyne indécrottable, porteur d’une violence verbale et physique épouvantable, shooté à mort par toutes les drogues, et par dessus tout d’une rare méchanceté. Sans oublier une syphillis récurrente et un mépris total des pauvres gens. Sa mère dit à son fils: « Mon mari est l’ordre, le respect, la hiérarchie. Toi tu es le désordre, l’insolence, la licence ». Inutile d’en rajouter la coupe est pleine mais n’empêche pas Baudelaire de demeurer la référence poétique de la fin XIX ème siècle. Cette ambivalence, génie poétique et mauvais génie humain, le roman de Teulé la décrivait parfaitement et faisait la force de son texte.

On était donc curieux de connaître son adaptation en images, exercice prolongeant souvent la vie des romans de l’ancien auteur de BD qui acceptait volontiers de confier ses récits à des dessinateurs auxquels il laissait toute latitude. Il fallait bien être deux pour relever ce défi en trois volumes. Tino et Dominique Gelli se sont donc attelés à la tâche avec pour ce dernier un goût de revoyure. Dominique Gelli fait ici exploser les couleurs somptueuses, le rouge sang des manteaux, des robes, des drapeaux assurant le fil conducteur de cases inoubliables. Laid psychologiquement, le poète l’est aussi physiquement et sa petitesse fait pâle figure à côté de la somptueuse Jeanne Duval, qui donne son prénom à l’album et dont la noirceur de peau sensuelle et poétique tranche avec la blafarde blancheur du poète, intellectuellement si haut perché et physiquement et humainement si médiocre. La « Vénus Noire » est magnifique de sensualité et de désir, nue ou dans des robes prodigieuses, dont Baudelaire disait qu’elle était « mon âme, ma passion, étoile de mes yeux ». Muse, elle est le contrepoint de son amant.

Mais la poésie dans tout cela? Elle est omniprésente, chaque évènement de la vie du poète suscitant son inspiration, est illustrée par des dessins pleine-page de Tino Gelli qui tranchent avec la tonalité du récit. Oniriques, naïfs, symbolistes, ésotériques, ils accompagnent à la perfection les poèmes de Baudelaire qui vont être rassemblés à la fin de ce premier tome pour devenir les Fleurs du Mal. Sa poésie le jeune Charles la définit ainsi: « Ça me métamorphose en poète augmenté qui saura pétrir de la boue pour en faire de l’or. J’entends venant de la rue des musiques célestes et vois dans les taches de ces murs des peintures ». Opposition réalisme et poésie que les dessins des Gelli traduisent à merveille par le parti pris de deux styles graphiques contraires et complémentaires.

Tronchet

Dupuis

27,00
Conseillé par (Libraire)
13 avril 2023

Tendre et dérangeant

Voilà un personnage qui ne cherche pas à se rendre sympathique. Page 12, il vous irrite, page 42, il est insupportable et page 75, il vous donne des envies de meurtre. Même son visage, et son fameux nez tordu cher à Tronchet, est détestable. C’est simple: vous connaissez le gentil et tendre humoriste, François Morel, ancien Deschiens, qui a écrit la préface? Le « héros » de l’album, Gilles Collot-Sopiédard, la quarantaine, humoriste détenteur d’une rubrique quotidienne dans un journal national, est son exact contraire. Il doit sa réussite à son cynisme, à sa méchanceté gratuite, à son sentiment de toute puissance. Il s’en délecte, s’en glorifie, détruisant par sa plume des existences jusqu’à ce qu’une séance avec sa psy (tiens pourquoi se rendre chez une psy quand on est si sûr de soi?), va le faire basculer sur son passé.

Bascule, un mot clé dans la vie de l’humoriste, un mot clé dans cette BD qui va quitter la superficialité d’une vie parisienne pour un voyage vers les terrils du Nord puis vers des pays de lavande. Un voyage dans l’espace qui recoupe un voyage dans le temps. Comment Gilles Collot-Sopiédard (lisez en commençant par le patronyme pour comprendre le sens caché de ce curieux nom), un enfant amoureux des images de Poulbot, est il devenu cet incommensurable imbécile, usant et abusant de l’humour?

On ne présente plus Didier Tronchet au dessin si identifiable et qui depuis plusieurs albums, l’âge aidant, se livre de plus en plus intimement. Le fils du Yéti évoquait la disparition de son père, Robinsons père et fils décrivait une expérience sur une île avec son fils. Il semble aller encore plus loin dans cette BD. On a le sentiment qu’il mène ici, dans la quête de l’humour et de sa définition, une forme d’introspection . « Quel manque profond se cache derrière ce désir d’exister qui trouve son expression dans l’humour? » déclare t’il. Cette interrogation Collot-Sopiédard la fait sienne en quittant son habit de lumière médiatique pour reprendre celui de l’enfant qu’il a été, lui qui avec sa famille, a visiblement effacé une année de sa vie, cette fameuse « année fantôme », l’année 1986, restée sans archives photographiques.

Le lecteur suit alors avec beaucoup de tendresse la transformation d’un homme détestable en adulte à la recherche de son identité et de la faille qui a bouleversé sa vie et sa personnalité. L’humour se révèle n’être qu’une carapace contre la douleur d’un secret familial. Un exutoire. Ce cheminement prend les allures d’une quête policière avec son suspense et la résolution de son énigme finale et de sa morale: on peut tenter d’oublier sa famille mais on ne peut jamais l’effacer totalement.

Sous des aspects triviaux, Tronchet nous livre ici surement son ouvrage le plus dérangeant, le plus intime aussi passant de la mauvaise gaudriole à une ludique séance de psychanalyse. Le dessin lui permet simplement d’exagérer les traits pour maintenir la distance et éviter la grandiloquence.

Conseillé par (Libraire)
23 mars 2023

Pour petits et grands

La cathédrale de Rouen, les meules de foin, les rangées de peupliers, Claude Monet a utilisé ces thèmes pour fixer la lumière, la décomposer selon les moments de la journée, de la saison. Plus que leur forme c’est leur immobilisme qui a séduit le peintre de Giverny, une forme d’éternité qui laisse la priorité aux couleurs changeantes dans des séries aux cadrages identiques. Max Ducos, illustrateur vedette des éditions Sarbacane, reprend à son compte ce caractère répétitif du motif selon les heures d’une seule journée, mais il choisit un thème vivant, mouvant: une plage soumise aux courants des marées.

On le distingue ce plan fixe caché derrière les troncs des pins de la couverture. On va apprendre à le connaître par coeur au fil des pages a priori répétitives. En haut à gauche, un embarcadère, au loin à l’horizon, un phare avec son fût blanc chapeauté de rouge et plus à droite, un haut château d’eau. Et au premier plan, envahissante sur la première page, la mer. Elle va se retirer peu à peu, laisser la place au sable et à des découvertes surprenantes. Bien entendu, le ciel va se transformer lui aussi. Bleu uni, il va se saupoudrer de nuages blancs, enrobés de ouate, puis de nuages gris, noirs qui vont se déverser en averses brutales sur la plage avant de s’éclairer de nouveau en fin de journée pour offrir une dernière image au ciel étoilé proche des ciels étoilés de Van Gogh en Arles. Le temps change, la mer monte et descend mais depuis le matin de petits personnages apparaissent puis disparaissent en bas de l’image à marée haute, au milieu de la page à marée basse. Pour certains on apprend leurs noms: Agathe, Philippine, Louna, Manon, Eliot. On les identifie, on les observe, caché derrière nos pins. Le texte nous aide. Plein de poésie et de douceur, il nous dit l’écoulement du temps. Et puis une première lecture faite, on reprend le livre à la première page, on ignore les mots, on passe les doigts sur les feuilles, et on regarde plus intensément. Comme au jeu des sept erreurs, on tourne les pages, on revient à celles d’avant pour voir les modifications apportées par la pluie, la marée, la lumière. Et on suit l’histoire muette d’un parasol, d’un château de sable, d’un couple qui traine sur la plage avant de s’embarquer sur un voilier. Ils n’ont pas de noms. Leurs histoires c’est au lecteur de les inventer.

Parfois une double page élargit le champ. C’est qu’il est midi, ou minuit. Un moment clé de la journée.

C’est beau, doux et tendre comme une belle journée au bord de mer quand l’insouciance des vacances envahit l’espace et le temps. Les planches de Max Ducos traduisent à merveille la sérénité d’un jour, a priori, sans histoires. Le cadrage strictement identique des pages oblige à se concentrer sur la lumière, les couleurs, les changements. L’enfant lecteur y verra comme un jeu, les retours en arrière seront fréquents. L’adulte appréciera la réussite graphique remarquable.