Réservation immédiate!
Ce roman nous transporte dans un monde que nous pensions connaître en tant qu'usager et qui nous est finalement totalement inconnu et étranger. On pensait tout savoir à l'idée simple de monter dans un train, sans trop se poser de questions et on se rend compte (avec bonheur) que l'on ne sait rien et qu'il ne suffit pas d'appuyer sur un bouton confortablement assis dans une cabine pour engager un train sur les rails. "Mécano" révèle au contraire l'inconfort du métier, les difficultés, les connaissances et le savoir technique incroyables à assimiler, la fatigue tenace et persistante comme un second corps à porter. La fatigue en tête-à-tête accompagne le mécano le temps d'un voyage, d'un trajet, partenaire de sa solitude tandis que les voyageurs somnolent en toute sérénité. Sous la plume sublime, juste et malicieuse de Mattia Filice, le mécano est un homme à part entière, il fait corps avec la machine, profondément seul malgré les centaines de passagers derrière lui, avec à portée de main les indispensables outils pour toute réparation d'urgence. En tension, à l'affût de la moindre anomalie, le cerveau exercé à tout détecter, le mécano conduit aussi le lecteur dans un récit haletant, cocasse, tragique, absurde, émouvant, au cœur des luttes sociales et internes. Au rythme du train, les mots sont ajustés et se dévoilent, dans une narration sensible, singulière, profonde et sincère. Foncez et ne ratez surtout pas ce premier roman!
Asservissements modernes
Ce roman social et familial révèle de façon percutante le fonctionnement interne du fastfood le plus connu au monde, lieu de rêves, attractif pour certains, détesté par d'autres, perçu et éprouvé comme une machine à broyer, parfaitement huilée, sans humanité, excessivement hiérarchisée. Loin d'engager un portrait à charge, la narratrice met en parallèle sa propre situation professionnelle précaire, toute jeune embauchée sur le marché du travail et celle de son père, ouvrier épuisé par des années de labeur et d'endurance physique sans avoir même atteint l'âge de la retraite. C'est un monde de tensions, de convoitises et de concurrence permanentes qu'elle met en exergue, un monde rigide où tout est contrôlé et rien n'est explicité simplement, volontairement. En apparence la façade est proprette, le tutoiement est de rigueur, la rudesse est excessive, silencieuse. Ce texte a une force littéraire incroyable et dévoile un talent narratif exceptionnel.
Attention pépite de roman noir! Eblouissant dans sa noirceur: le lecteur reste pantois devant tant de maîtrise littéraire.
En silence
Dans ce roman aussi court que magistral, d'une concision et d'une justesse reconnaissables, Marie-Hélène Lafon convoque les violences et les silences perpétrés et entretenus au sein d'une famille paysanne dans le Cantal. Dès les premières lignes, les premiers mots, le lecteur perçoit la tension presque palpable, le silence forcé qu'il ne faut surtout pas briser de peur de déchaîner la colère et les coups. La campagne aux alentours observe et se tait tandis que les enfants cessent brutalement leurs jeux. Attentifs, aux aguets, potentielles proies au déchaînement de la fureur et de la démesure orgueilleuse." Les Sources" ou les racines, ce sont les histoires familiales, le poids de cet héritage singulier et complexe avec lesquels chacun doit grandir, vivre et se débrouiller. Ce sont les silences et les non-dits portés, transportés au creux du ventre, là où la peur se loge aussi et prend demeure, puisqu'il n'est pas possible de crever les abcès, de dire les choses. Alors, comment partir, comment fuir? Comment vivre avec tant de silences et de secrets?
Quel roman! Quelle puissance narrative prodigieuse! C'est une immense vague qui emporte le lecteur, le fait osciller et tanguer au rythme des flux et reflux de l'eau. Ce pourrait être un roman noir, voire un roman policier. Le style incomparable de Maylis de Kerangal explose le genre et fait presque oublier le mort et l'enquête. On se rappellera "A ce stade de la nuit" où les pensées vont et viennent, les souvenirs et les images en appellent d'autres, refluent, rebroussent chemin et s'imposent de nouveau. La narratrice est submergée, comme envahie d'images mais jamais noyée. C'est le roman du Havre, d'une jeunesse explosive de désirs et de rêves et d'un amour puissant, un roman de déconstruction et de reconstruction, des souvenirs enfouis et enfuis qui soudain s'élèvent et refont surface.